Cigarette éteinte aux lèvres, il navigue, affairé, entre les bancs des avocats, cour d’assises, salle 2. Personne ne s’approche de lui. Puis, installé à son pupitre, penché sur ses notes, il fait le dos rond. On dirait un maquignon bourru, en fait c’est un ogre judiciaire : Maître Dupond-Moretti se prépare à mettre en pièces l’accusation. Il va plaider.
« Je ne plaide pas une affaire, j’en plaide trois »
Il défend depuis plusieurs jours un mari, Eric, soupçonné d’avoir tué sa femme. Maryse avait quitté Eric. On l’a découverte battue à mort le 9 juillet 2000 en gare de Rosny, le long des rails. Son sac à main avait disparu.
En 2005 Eric fut jugé par un premier jury populaire, reconnu coupable d’assassinat et condamné à 15 ans de réclusion. Pour son nouveau procès en appel, il engage Dupond-Moretti, le maître de l’acquittement. « Il en aurait obtenu 64 ! » souffle l’une des admiratrices dans le public. En réalité : 73 en novembre 2008.
Davantage que le dossier d’instruction et la première condamnation, c’est un procès encore antérieur qui fait peser sur Eric d’écrasants soupçons : en 1999 il comparaissait déjà pour tentative d’assassinat contre sa femme. Un non-lieu avait cette fois été prononcé.
« Vous êtes saisis uniquement de l’assassinat du 9 juillet 2000 », précise le représentant du Parquet. C’est pourtant au soupçon qu’il en appelle lorsqu’il invite les jurés à décider selon leur intime conviction :
« Ces quelques éléments matériels sont ténus : pas d’ADN, pas d’aveu. Mais vous avez un certain nombre d’éléments. A Bobigny, la majorité des jurés ont estimé qu’il était coupable. J’ai totalement confiance en votre esprit critique. Moi j’ai fait part de ma conviction, je n’ai pas d’incertitude. Vous pouvez sortir la tête haute avec un verdict de culpabilité. »
« Un poker judiciaire »
Le soupçon, l’avocat l’utilise pour le transformer en erreur judiciaire.
« Vous savez quand on regarde un homme comme un coupable, et bien il l’est ! »
D’emblée Dupond-Moretti n’a qu’un but, faire tomber avocat général et président d’audience de leur piédestal. A peine commence-t-il à plaider qu’il s’interrompt pour jeter au président inattentif :
– Vous cherchez une pièce, Monsieur le Président ? Dites-moi laquelle, je peux vous la donner tout de suite…
– Je vous écoute attentivement.
– Je vois ça.
Le président continue à trier ses papiers.
– Monsieur le Président je trouve ça franchement désagréable ! J’aime regarder les gens dans les yeux quand je plaide. Peut-être vous faut-il une suspension d’audience ?
Médusés, les jurés sont alors préparés à suivre l’avocat dans son oeuvre de déconstruction :
« J’ai pour vous le plus grand respect, Monsieur l’avocat général, mais il vous est venu une pensée singulièrement mauvaise. Evoquant les médicaments que possédait mon client, il vous est venu l’idée qu’ils auraient pu être employés dans une fonction anesthésiante… Vous avez là tenté un poker judiciaire », poursuit Me Dupond-Moretti, fixant l’avocat général.
« Déjà que vous avez peu de choses… »
Froidement, sur le ton de la colère contenue, il écarte les éléments à charge. Il élabore de nouvelles interrogations.
Les traces ?
« La victime a été retrouvée dans une marre de sang. On a tout passé, tout, au peigne fin : on n’a rien. »
Une tentative de viol ?
« Le procédé est clair, il faut d’abord le condamner pour le viol avant de le condamner pour le meurtre sur lequel vous n’avez rien. »
La géolocalisation des appels ? Ils ne prouvent pas que les époux se soient vus. Cette fois l’avocat gronde :
« Alors déjà que vous avez peu de choses… Si en plus on les tord ! »
Le harcèlement ? Aucun témoignage.
« La victime, elle est comme vous, elle est comme moi. Avant de mourir, elle avait ses qualités, ses défauts. Elle a pu exagérer. »
Les horaires de trains, les témoins :
« Pas un PV n’est établi montrant que la police soit allée chercher des témoins.(…) L’amant ! L’amant… On s’est contenté d’une déclaration : Je suis dans mon lit. Et on a découvert un autre amant. On ne sait même pas qui c’est ! »
« La plaidoirie ne sert plus à grand chose »
Après 3 heures de délibération, l’acquittement est prononcé. Sa demande est parvenue aux oreilles des jurés comme une évidence et sous la forme d’une mise en garde :
« Imaginons que vous le condamniez… Vous sortez d’ici. Et puis dans 3 ans, 6 ans, vous apprenez qu’on retrouve le sac… C’est insupportable ! Si sur ce dossier on devait condamner Monsieur P., alors justice serait morte. »
Au beau milieu de sa démonstration, devant un auditoire chancelant et captivé, Me Dupond-Moretti avait glissé :
« Je ne sais pas s’il était utile de vous dire ça. Vous l’avez peut-être déjà senti, envisagé. Moi, je pense que la plaidoirie ne sert plus à grand chose… »
Pierre Anquetin
Le 22/11/08, Eric Dupond-Moretti était interviewé par Christophe Hondelatte sur RTL.
Après le 13 h du jour, il commente son art, ses choix. Puis il dialogue avec Robert Badinter – qui lui vole la vedette – et enfin Serge Lama.
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