Comparutions immédiates, Paris
Assis dans le public, Yacine se lève pour rejoindre la barre et entendre son jugement. Derrière lui, trois gendarmes approchent discrètement. La condamnation tombe, 15 mois fermes pour violences sur mineurs de moins de 15 ans. Désorienté, il se retourne vers la salle mais le voilà déjà encerclé par les gardes. On l’emmène au dépôt.
Une heure plus tôt, quand le tribunal lisait les dépositions de sa famille à la police, Yacine n’était pas présent pour répondre. Même son avocat restait introuvable. Le prévenu a quand même été jugé « contradictoirement », assure la présidente.
« On a peur tout le temps »
La mère était également absente aujourd’hui. Battue depuis des années, elle n’a pas jamais porté plainte. Et quand elle se cache pour échapper aux coups, les enfants se retrouvent en première ligne. Ils sont trois : Marah 12 ans, Yana 8 ans et Mohammed, 6 ans. C’est d’abord pour eux trois que le tribunal est réuni. A l’administratrice judiciaire et à l’avocate qui les représentent, ils ont dit vouloir retrouver leur père : « qu’il reste avec nous mais qu’il soit plus gentil avec nous ». Avant d’avouer : « on a peur tout le temps ».
Les faits remontent au 4 juillet 2015, entre les murs d’un petit deux-pièces infesté de punaises dans le 17e arrondissement. Rentrant du travail, le père remarque l’absence de la fille aînée, descendue au square. Le fils refuse d’aller la chercher. Ce parfum de liberté et de rébellion rend immédiatement Yacine fou de rage. « Je savais que j’allais être frappée » expliquera la mère qui court s’enfermer dans les toilettes. L’homme éventre la porte sans pouvoir l’ouvrir, passe le bras pour pincer sa femme et l’obliger à sortir. Venu s’interposer, le garçonnet est projeté à travers la pièce, sa tête cogne le montant du lit. L’autre fille est frappée au ventre. « Je vous jure que je vais tous vous faire mourir de faim » menace le père. Alertés, les policiers interviennent à temps.
Une violence dévorante
Au commissariat, la mère raconte son histoire : elle a 14 ans et lui 17 quand ils se marient en Syrie. Sa belle-mère la maltraite immédiatement, des coups de poings dans le ventre. Le mari la frappe avec le pommeau de douche. Mais ça ne suffit pas, il la mord aussi, puis il mord sa fille aînée au front.
Si Yacine était venu répondre de ses actes un peu plus tôt à l’audience, s’il avait été défendu, peut-être le tribunal aurait-il pu tirer dans cette histoire familiale un fil inquiétant : celui qui relie les coups au ventre porté par la mère de Yacine à sa femme, les mêmes coups et les morsures de ce fils à sa propre fille, la menace et, sans doute, la terreur de la faim… Quelle répétition, quelle dérive étaient déjà à l’oeuvre dans cet appartement vétuste ?
Mais aujourd’hui la justice s’en tient aux faits et ils sont clairs. Toutes les déclarations sont corroborées par les examens médicaux : dent cassée, traces de morsures, hématomes, ecchymoses, oeudèmes… sur toute la famille. L’état psychologique de la mère préoccupe l’expert : hypervigilance, ruminations, tristesse d’humeur. Par leur délibéré, les juges ne se contentent pas d’envoyer Yacine en prison, ils signifient également ceci aux enfants : vous étiez victimes.
Pierre Anquetin
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