Quel est le degré de violence acceptable lors d’un conflit social ? C’est la question que se posent les spectateurs des vidéos projetées ce soir au fond de la 31e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris.
A l’écran, on distingue les bureaux en open space d’un centre d’appels téléphoniques EDF-GRDF envahi par la foule.
Dos au mur, deux femmes tétanisées et blêmes, Sylvie et Catherine, responsables du service en proie à l’agitation. Vociférant face à elles, Franck, représentant syndical de la CGT énergie Paris. D’autres syndicalistes l’entourent mais le meneur, c’est lui, et les cris, ce sont les siens.
Il est aujourd’hui reproché à Franck, Véronique, Francis et Serge, tous militants CGT, d’avoir entravé pendant deux jours la liberté de travail de leurs collègues. Dimitri est poursuivi pour avoir filmé le personnel d’encadrement en difficulté et publié la vidéo sur le site de la CGT.
« Djamila ne sera pas licenciée »
Début 2008, après plusieurs mois d’intérim et un an de stage, Djamila apprend qu’elle ne sera pas titularisée. Selon le syndicat, ce licenciement cache une mesure de rétorsion. Au cours de son stage, Djamila a été témoin d’un accident du travail. La direction aurait demandé à l’employé de rester chez lui sans déclarer l’incident. Indignée, Djamila aurait critiqué cette dissimulation devant ses collègues, s’attirant ainsi les foudres de la direction. Les rapports de stage négatifs s’accumulent à son encontre, la commission de titularisation finit par refuser l’embauche.
Le service des ressources humaines avance d’autres motifs : Djamila se montrerait agressive, ne respecterait pas les horaires de travail, critiquerait EDF auprès des clients au téléphone, aurait accumulé 56 jours de congés maladie pendant son année de stage.
Le 14 février au matin, jour du départ de Djamila, les militants CGT envahissent les bureaux où elle travaillait. Des tracts avaient déjà annoncé la couleur : « Djamila ne sera pas licenciée ».
Face à la mobilisation, Sylvie et Catherine restent seules en première ligne. Le directeur refuse d’intervenir sur le plateau, il se méfie des syndicalistes :
« La technique de conflit, c’est de faire monter le directeur sur une table, ce qu’ils ne font pas avec le personnel sur place. Donc on leur demande de venir au siège ».
« L’ambiance risquait de déraper »
Comme souvent en cas d’occupation, la direction dépêche rapidement un huissier. A l’audience, la partie civile comme la défense se réfèrent à son constat. Il est pourtant à charge, l’huissier ayant consciencieusement noté nombre d’insultes essuyées par Sylvie et Catherine :
« Vous avez falsifié des documents avec des méthodes de nazis. »
« C’est une taupe, c’est une mule, c’est elle la fasciste. »
« Vous êtes à vomir. »
« La direction doit passer au conseil de discipline. »
« La journée et la nuit vont être longues. »
« Vous êtes des virus dont on n’a pas trouvé l’antidote… »
L’avocat des syndicalistes, Me Gosset, pose la même question à Sylvie et Catherine : « Avez-vous reçu des instructions de la direction sur la manière dont vous deviez gérer seule ce conflit ? » Aucune instruction et pas de connaissance non plus des pièces du dossier Djamila.
Cette discrétion de la direction constituera sans doute un axe de défense, déjà annoncé par le témoignage de Serge : « L’ambiance risquait de déraper car la direction ne répondait pas. » Il relativise :
La présidente : Mais pourquoi avoir obligé Catherine à signer une fausse lettre de démission ?
Serge : C’était de l’ironie socratique, pour calmer la foule par la sémantique. Mais l’ironie socratique, apparemment ça ne paie pas ! Nous voulions montrer ce que c’est d’être licencié. Avec une distanciation brechtienne.
La présidente : Elle n’a pas apprécié la distanciation brechtienne.
Serge : Je comprends. Licencier quelqu’un c’est difficile à assumer. Le mouvement ne l’a pas aidée.
Sur les bancs du public, l’argument socratique fait bien rire la quinzaine de militants venus soutenir leurs camarades. Devant les tribunaux, les délégués CGT ne se déplacent jamais seuls.
« A treize heure, le courant est coupé »
Au-delà des mots, ce sont les pressions exercées par les syndicalistes pour bloquer l’activité de l’open space qui sont visées par la plainte d’EDF.
« A treize heures, le courant est coupé », relève l’huissier, à cause d’une inondation provoquée par un balais dans les toilettes. Le lendemain, la serrure engluée du local technique interdit son accès. Les boules des souris d’ordinateur ont aussi été retirées.
Parfaitement préparé, Franck se défend. Epaules en avant, les deux mains en appui sur la barre, le regard fixé sur la présidente, il déroule son texte d’une voix calme et puissante. C’est un tribun :
« Le but n’était pas d’empêcher le travail mais de redonner du travail à une collègue licenciée. »
Les dégradations ? « Quel est notre intérêt, à nous, de faire ça ? Aucun. Ce n’est pas une action diligentée par le syndicat, et mes camarades et moi n’en sommes pas les auteurs ».
Après les témoignages des quatre syndicalistes, des deux cadres, du directeur, du responsable de la maintenance, la présidente décide de renvoyer plaidoiries et réquisitoire à une autre date. « Avec un délibéré à minuit, la décision ne pourrait pas être correcte ». Rendez-vous est donné pour le 16 novembre 2015.
Depuis cette audience, un comité central d’entreprise d’Air France a défrayé la chronique : les images de membres de la direction, chemises déchirées, évacués sous les huées des salariés en colère ont été reprises par les JT du monde entier. Interpelés par la police à l’aube, ces salariés, dont plusieurs militants CGT, ont été placés en garde à vue prolongée.
Ces évènements spectaculaires alimenteront-il sur les réquisitions du procureur ou les plaidoiries de Maîtres Tordjman et Delcourt, les avocats des cadres et d’EDF, ou de Maître Gosset pour la CGT ?
Lire la suite ici : « Une cabale pour obtenir la tête de ces quatre »
WordPress:
J’aime chargement…