“Ici, on a l’habitude des femmes qui tombent dans les escaliers”

“Ici, on a l’habitude des femmes qui tombent dans les escaliers”

Comparutions immédiates

Il l’a menacée d’un couteau dans la gorge si jamais elle s’avisait de divorcer.

Ce témoignage de la concierge aggravera un peu plus le cas d’Hajaf.  Pas beaucoup plus : tout l’accable déjà dans cette procédure qui le vise pour violences et harcèlement envers Samira, sa femme.
Lui, trapu, debout dans le box, reste tendu vers les juges. Il les fixe pour être sûr de bien comprendre. Assise à quelques pas, elle se tait. Les autres parlent pour elle.

La police

Les policiers interviennent un jour de juillet sur un différend conjugal. La femme se plaint alors d’être battue, harcelée. Elle avait fui le domicile conjugal pour s’installer à Paris.

Elle avait déjà déposé plainte le 5 juin pour menace de mort : devant les enfants, il promettait de « foutre le feu ». Les jours suivants, il la frappe d’un revers de main, d’un coup de chaussure. Le 16, il revient la chercher, elle se réfugie dans la loge de la concierge. Plus tard, il la suit au travail et, ne la trouvant pas, s’en prend aux enfants. Sur le corps du garçon de 6 ans, on constate un hématome de 10 cm de long, 2 de large. Une autre procédure est en cours devant le tribunal pour enfants.

La présidente égraine la liste des interruptions temporaires de travail (ITT) accordés à Samira pour blessures : 8 jours en 2005, 4 jours en 2008, 4 jours en 2009… « Ça a commencé à la naissance de ma fille, en 2000 » se rappelle-t-elle devant les policiers.

L’expert

« Un des meilleurs experts de la cour ! J’ai déjà eu l’occasion de travailler avec lui… »  certifie bien la présidente avant de lire le rapport du psychiatre. Il décrit un homme d’un « niveau intellectuel supérieur, en dépit d’une faible instruction. Pas de schizophrénie, aucune forme de pathologie ». Les conclusions ne laissent pas d’alternative : la dangerosité du sujet « n’est pas atteignable par des soins psychiatriques mais nécessite des mesures de protection ».

Hajaf et la présidente

– Madame, je dis la vérité toute entière, je jure.
– Vous n’avez pas à jurer. Ici, vous êtes la seule personne qui ait le droit de mentir.
– D’accord. Le 22 juin, je suis allé voir les enfants (…) Je l’ai appelée, elle m’a demandé de venir manger avec elle. Puis elle n’a plus répondu. Je suis allé l’attendre au travail.
– Expliquez-vous sur les faits de violence : elle avait la lèvre inférieure éclatée.
– Elle s’est blessée en passagère de la voiture. J’ai freiné trop brusquement.
– Ici on a l’habitude des femmes qui tombent dans les escaliers. Vous, c’est la voiture. Donc vous niez les faits ?
– Je n’ai pas de problème avec elle.
– Pas de problème ?
– J’ai déposé plainte au commissariat d’Annemasse.
– Oui, à chaque fois vous prétendez qu’elle est responsable, qu’elle a des troubles comportementaux. Vous évoquez des fugues…

L’avocate

Il ne s’agit pas de plaider que c’est un homme courtois, sympathique, reconnaît l’avocate d’Hajaf. Il est jaloux, agressif (…) Le sursis aurait beaucoup plus d’impact et de sens pour lui. S’il reste en détention, il ne comprendra pas, il continuera à vouloir entrer en contact. Tandis que s’il retourne à Annemasse, il retournera à son projet de création d’entreprise et, on l’espère, laissera Madame tranquille…

Le délibéré est plus lourd que les demandes du procureur. Hajaf reste en prison, 18 mois fermes, plus 6 mois avec sursis et mise à l’épreuve : il lui sera interdit de revenir à Paris et d’entrer en contact avec la victime. L’avocate de Samira avait prédit :

Il va l’attendre et il n’y aura peut-être pas la concierge dans le hall pour la protéger…

Pierre Anquetin

“L’amour vache”

“L’amour vache”

Comparutions immédiates / Stéphane et Brigitte se retrouvent devant les juges pour n’avoir pu se quitter sans se rappeler : à 90 reprises en une semaine, Stéphane aurait cherché à joindre Brigitte. À bout, elle porte plainte pour harcèlement ; Stéphane est arrêté. « Je reconnais les appels mais je ne l’ai pas menacée » soutient-il devant les policiers.
Il comparaît aujourd’hui, sombre, fatigué, son corps trapu replié sur lui-même. Brigitte se présente à la barre, grande, mince, tonique, avec de longs cheveux tirés en queue de cheval. Elle parle fort pour se donner du courage car aujourd’hui, devant le tribunal, elle regrette.

Brigitte : Je voudrais retirer ma plainte… À condition qu’il me laisse tranquille.
La présidente (enrouée et énervée) : Ah vous retirez votre plainte ? Trois juges sont occupés pour rien, c’est très bien… Alors rejoignez la salle. Et puis non, restez : puisque nous sommes là, pourriez-vous nous dire combien de fois il a appelé et ce qu’il disait ?
Brigitte : Je ne sais plus.
La présidente : Vous ne savez plus ! (À Stéphane) Et vous, qu’avez-vous à dire ?
Stéphane : Je ne comprends pas. Je suis très ami avec son frère, Philippe, avec son beau-père, avec ses parents. Il n’y a qu’avec elle qu’il y a des problèmes !
(L’assistance rigole.)
La présidente (encore plus enrouée et énervée) : Le public se croit au théâtre ! Il n’y a aucune tenue, pas plus dans la salle que dans le box. Il faudrait que ça cesse. Taisez-vous, essayez-vous !

L’avocat reproche à la présidente d’avoir houspillé  son client et montre que le harcèlement était peut-être réciproque :

Les appels entrants sont importants dans un sens comme dans l’autre. C’est l’amour vache. Des gens qui s’aiment mais qui se repoussent. De là à considérer que les faits soient répréhensibles pénalement…

Lorsque la présidente demande à Stéphane s’il veut ajouter quelques mots, il redresse une tête lourdement appuyée sur sa main gauche, lève un sourcil et répond d’un silence. Une heure plus tard la relaxe est prononcée. Cette heure d’attente, Brigitte la passe à arpenter la salle des pas perdus en compagnie d’une amie, lui racontant avec agitation les tout derniers soubresauts de son couple malheureux.

Pierre Anquetin

“L’enfant roi”

“L’enfant roi”

Jean est un petit garçon tenu éloigné du tribunal. Ces deux parents sont bien là, face à face. Yves est la partie civile ; Corinne est la défense et comparaît pour « injure, menace, menace sous conditions » envers Yves.
L’essentiel des débats tournera néanmoins autour l’enfant : la garde, les droits de visite constituent l’enjeu caché de l’audience.

« Si on me dit que je suis une mauvaise mère et que je ne dois pas vivre avec mon enfant, je l’accepterai. Je me bats pour que mon enfant vive dans un climat serein » explique-telle sèchement.

« Sur la tête de Jean »

Les parents sont déjà séparés quand elle est condamnée à une peine de prison pour un délit sans rapport avec l’affaire de ce jour. Au cours de la détention, le père élève son fils. Une fois libérée la mère entreprend de disputer la garde. Une violente bataille s’engage.

Les messages que Corinne a laissés à Yves sont lus devant le tribunal :

« Je peux te dire que tôt ou tard, tu vas le regretter. Toi tu as une sacrée ardoise. Tu es totalement détraqué de la tête. Je te le jure sur la tête de Jean, ce que tu as fait, tu vas le payer très cher, très cher, très cher. Tu vas payer pour tout ce que tu as fait à Jean. Les pères comme toi ne méritent pas d’être pères. »

« La fosse aux lions »

L’avocat du père décrit la vie de Jean comme un enfer une fois sa mère sortie de prison :

« Il est descendu dans la fosse aux lions. Il a été jeté en pâture. Il a été instrumentalisé. Malgré l’amour, Mme T. fait prévaloir la volonté de récupérer cet enfant en détruisant l’image du père. On lui a fait dire des choses abjectes sur son père. A tous les passages chez sa mère, il est soumis à un chantage affectif. Il vit un conflit de loyauté entre ses deux parents. Jean, l’enfant roi, ne l’est pas dans la réalité. Un jour il a pété les plombs. Le père a demandé de l’aide à l’hôpital. Madame a saisi cette occasion, elle a fait son cirque et un signalement a été mis en place. Rien ne sort de ce signalement. »

Vrai/faux débat

Rien, hormis la spirale de procédures qui conduisent les deux parents au tribunal pour tenter de gagner des points. La partie civile sollicite une décision « inscrite dans la durée » : une mise à l’épreuve, une obligation de soin, 1 euro de dommages et intérêt.

La procureure ne renchérit pas et s’en remet à la décision du tribunal. C’est un signe d’indulgence que la défense ne manque pas de souligner.
Sans répondre aux arguments sur l’éducation de Jean, elle rappelle avant tout que le tribunal n’a jamais été saisi d’une demande de résidence permanente :

« Le débat ce n’est pas cela. Mais le débat est de savoir si les faits de menaces sont constitués. »

Réponse le 17 février.

Pierre Anquetin

Le 74e acquittement

Cigarette éteinte aux lèvres, il navigue, affairé, entre les bancs des avocats, cour d’assises, salle 2.  Personne ne s’approche de lui. Puis, installé à son pupitre, penché sur ses notes, il fait le dos rond. On dirait un maquignon bourru, en fait c’est un ogre judiciaire : Maître Dupond-Moretti se prépare à mettre en pièces l’accusation. Il va plaider.

« Je ne plaide pas une affaire, j’en plaide trois »

Il défend depuis plusieurs jours un mari, Eric, soupçonné d’avoir tué sa femme.  Maryse avait quitté Eric. On l’a découverte battue à mort le 9 juillet 2000 en gare de Rosny, le long des rails. Son sac à main avait disparu.

En 2005 Eric fut jugé par un premier jury populaire, reconnu coupable d’assassinat et condamné à 15 ans de réclusion. Pour son nouveau procès en appel, il engage Dupond-Moretti, le maître de l’acquittement. « Il en aurait obtenu 64 ! » souffle l’une des admiratrices dans le public. En réalité : 73 en novembre 2008.

Davantage que le dossier d’instruction et la première condamnation, c’est un procès encore antérieur qui fait peser sur Eric d’écrasants soupçons : en 1999 il comparaissait déjà pour tentative d’assassinat contre sa femme. Un non-lieu avait cette fois été prononcé.

« Vous êtes saisis uniquement de l’assassinat du 9 juillet 2000 », précise le représentant du Parquet. C’est pourtant au soupçon qu’il en appelle lorsqu’il  invite les jurés à décider selon leur intime conviction :

« Ces quelques éléments matériels sont ténus : pas d’ADN, pas d’aveu. Mais vous avez un certain nombre d’éléments. A Bobigny, la majorité des jurés ont estimé qu’il était coupable. J’ai totalement confiance en votre esprit critique. Moi j’ai fait part de ma conviction, je n’ai pas d’incertitude. Vous pouvez sortir la tête haute avec un verdict de culpabilité. »

« Un poker judiciaire »

Le soupçon, l’avocat l’utilise pour le transformer en erreur judiciaire.

« Vous savez quand on regarde un homme comme un coupable, et bien il l’est ! »

D’emblée Dupond-Moretti n’a qu’un but, faire tomber avocat général et président d’audience de leur piédestal. A peine commence-t-il à plaider qu’il s’interrompt pour jeter au président inattentif :

– Vous cherchez une pièce, Monsieur le Président ? Dites-moi laquelle, je peux vous la donner tout de suite…
– Je vous écoute attentivement.
– Je vois ça.
Le président continue à trier ses papiers.
– Monsieur le Président je trouve ça franchement désagréable ! J’aime regarder les gens dans les yeux quand je plaide. Peut-être vous faut-il une suspension d’audience ?

Médusés, les jurés sont alors préparés à suivre l’avocat dans son oeuvre de déconstruction :

« J’ai pour vous le plus grand respect, Monsieur l’avocat général, mais il vous est venu une pensée singulièrement mauvaise. Evoquant les médicaments que possédait mon client, il vous est venu l’idée qu’ils auraient pu être employés dans une fonction anesthésiante… Vous avez là tenté un poker judiciaire », poursuit Me Dupond-Moretti, fixant l’avocat général. 

« Déjà que vous avez peu de choses… »

Froidement, sur le ton de la colère contenue, il écarte les éléments à charge. Il élabore de nouvelles interrogations.
Les traces ?

« La victime a été retrouvée dans une marre de sang. On a tout passé, tout, au peigne fin : on n’a rien. »

Une tentative de viol ?

« Le procédé est clair, il faut d’abord le condamner pour le viol avant de le condamner pour le meurtre sur lequel vous n’avez rien. »

La géolocalisation des appels ? Ils ne prouvent pas que les époux se soient vus. Cette fois l’avocat gronde :

« Alors déjà que vous avez peu de choses… Si en plus on les tord ! »

Le harcèlement ? Aucun témoignage.

« La victime, elle est comme vous, elle est comme moi. Avant de mourir, elle avait ses qualités, ses défauts. Elle a pu exagérer. »

Les horaires de trains, les témoins :

« Pas un PV n’est établi montrant que la police soit allée chercher des témoins.(…) L’amant ! L’amant… On s’est contenté d’une déclaration : Je suis dans mon lit. Et on a découvert un autre amant. On ne sait même pas qui c’est ! »

« La plaidoirie ne sert plus à grand chose »

Après 3 heures de délibération, l’acquittement est prononcé. Sa demande est parvenue aux oreilles des jurés comme une évidence et sous la forme d’une mise en garde :

« Imaginons que vous le condamniez… Vous sortez d’ici. Et puis dans 3 ans, 6 ans, vous apprenez qu’on retrouve le sac… C’est insupportable ! Si sur ce dossier on devait condamner Monsieur P., alors justice serait morte. »

Au beau milieu de sa démonstration, devant un auditoire chancelant et captivé, Me Dupond-Moretti avait glissé :

« Je ne sais pas s’il était utile de vous dire ça. Vous l’avez peut-être déjà senti, envisagé. Moi, je pense que la plaidoirie ne sert plus à grand chose… »

Pierre Anquetin


Le 22/11/08, Eric Dupond-Moretti était interviewé par Christophe Hondelatte sur RTL.
Après le 13 h du jour, il commente son art, ses choix. Puis il dialogue avec Robert Badinter – qui lui vole la vedette – et enfin Serge Lama.