Ils sont quatre et ne comprennent pas où ils doivent s’asseoir : le banc des prévenus est trop petit. « Serrez-vous… » encourage un président au crane bronzé et au ton affable. Lui est seul, sans assesseurs.
Kader, Hamid, Kamel et Jaber ont la cinquantaine. Un soir ils entrent déjà enivrés dans un bar-tabac du 18e arrondissement. Fahima, 22 ans, refuse de leur servir une bière. Les insultes fusent, un client est pris à partie, elle s’interpose. Une chaise est lancée sur la serveuse qui se protège : son avant-bras est cassé. Mais ni elle ni la vidéo-surveillance ne permettent d’établir qui a porté le coup.
« Kader : Quelqu’un a lancé la chaise derrière nous. Qui a blessé la serveuse ? Je ne sais pas mais elle le sait. Elle nous a frappés avec la chaise.
Le président : Finalement vous êtes victime !
Hamid : Mes amis étaient îvres, je ne voulais pas boire. Oui, oui, j’ai dit que je voulais l’égorger mais sous l’emprise de l’alcool. Moi j’ai reçu une chaise. J’ai une fille de 16 ans. Je demande pardon à la justice et à la victime.
Kamel : Je me souviens uniquement être entré dans le bar. J’ai rien vu, j’ai pas d’il, je peux pas lire.
Jaber : Des chaises sont passées au-dessus de moi. J’ai rien frappé. J’avais bu une bouteille de vin rouge. J’étais pas bourré : je peux en boire 4 ou 5 !
Le président : Pourquoi pas 40… Avez-vous vu lancer des chaises par ces trois-là ?
Jaber (il ne semble pas comprendre, il hésite) : Oui…
Le président : Y a t-il des questions pour faire avancer la vérité… » Aucune question.
L’avocate de la victime raconte la Goutte-d’or : « Un quartier arabe, un quartier africain. Une clientèle qui méprise les femmes. Cet incident est une caricature du racisme dans ce quartier. Le client Namedou est servi. Kader ne supporte pas que le Noir soit servi. Namedou est agressé. Il existe un climat d’intimidation collective. On arrive mal à distinguer qui a envoyé la chaise mais il s’agit d’une violence collective commise en réunion, accompagnée de propos machistes et menaçants. Il y a une incidence psychologique et professionnelle liée à l’agression. Ma cliente ne pourra plus être seule dans son bar. »
Tous coupables ?
La vérité n’a pas avancé. Le procureur veut contourner la difficulté. « L’un des quatre s’est emparé d’une chaise avec la volonté d’atteindre autrui. Peu importe qui on a souhaité atteindre. L’infraction peut être appréhendée dans son ensemble. La culpabilité s’applique à tous. Cependant la peine doit être individualisée : pour les deux qui ont un casier judiciaire, je demande 4 mois fermes. Pour les deux autres, 6 mois de sursis. »
Malgré son allure débonnaire, l’avocate de la défense avait prévu la manoeuvre. « Jaber était au bar, il n’a pas lancé la chaise. Selon la jurisprudence, la violence est considérée comme collective quand elle est préméditée. Ce n’est pas le cas. La chaise est un acte isolé, précis. Vous l’avez vu, ces personnes n’ont pas la défense la plus idéale. Ils ont du mal à s’exprimer en français. Certains n’ont jamais eu affaire à la justice… »
Quelques semaines plus tard, ils sont assis l’un derrière l’autre pour attendre le rendu du délibéré : 4 mois fermes pour ceux qui ont un casier, 4 mois avec sursis pour les deux autres. Ils protestent jusqu’à ce que le président leur demande de se taire.