“Pourquoi ici on m’appelle ado attardé ?”

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Comparutions immédiates
Le soleil inonde la 23e chambre du Tribunal correctionnel de Paris. Une dizaine de prévenus défilent devant les magistrats : deux femmes, un président à l’oeil sévère.

A mon arrivée, le procureur sermonne un voleur de Vélib’ :
« On est dans la cour des grands aujourd’hui, Monsieur. On ne vous a pas pris la main dans un pot de confiture. La prochaine fois ce sera le mandat de dépôt, la détention avec les rats. Vous verrez ! Je demande à la cour 100 heures de travail d’intérêt général : peut-être à l’atelier des vélib’ ? Et 2 mois de prison avec sursis. »

Le ton est donné, on enchaîne.

Deux jeunots s’avancent ensemble à la barre : Romain et Sylvain, un petit et un grand, 18 et 20 ans, blond bouclé et brun en brosse. L’un porte une chemise blanche, l’autre noire. On les a surpris la nuit à 2 h 30 arrachant le coffre d’un scooter. Ils avaient bu. Ils étaient suivis dans leurs pérégrinations depuis de longues minutes par la police qui guettait le flagrant délit.
« La police fait très mal son travail, » proteste l’un d’eux.

Dans la vie, le petit ne fait rien : « Je cherche ce que je veux faire ».
« Le plus grand, il rigole, s’étrangle le procureur. Ils ont l’air de trouver ça très drôle ! »
Celui-là vit aussi chez ses parents. Il a travaillé au MacDo, il est inscrit à l’ANPE et à la mission locale pour l’emploi.
Où en est-il avec les stupéfiants ? « J’ai pas à respecter cette loi sur l’interdiction. Je suis contre ».
Estomaqué, le président gronde : « Vous ne respectez pas grand-chose Monsieur, même pas vous-même. Taisez-vous ! Quand on ne fait rien, quand on ne se lève pas le matin, on fait des conneries la nuit ! »

Le procureur se lève et renchérit : « C’est un petit gauchiste. Pas un gauchiste comme ça… Un gauchiste au sens de la maladie infantile. Avisez-vous de vous faire prendre avec du cannabis. Et pour vous aussi ce sera le dépôt et les rats. Ça ne sert à rien de nous tenir des discours de ce genre. Inutile de vous présenter aussi mal : on se met en valeur, on essaie de montrer au tribunal ce qu’on a de mieux. Vous êtes des petits ados attardés ! Pour le premier, je demande 30 heures de travail d’intérêt général. Et pour le second, qui a une tête de bourougne* comme on dit dans les Cevennes, 10 jours de prison ferme. »

Le premier accepte le principe du travail. Le contestataire refuse.
A-t-il quelque-chose à ajouter ? « Oui, pourquoi ici on m’appelle ado attardé ? »
L’audience est suspendue pour délibération.

Dans les couloirs du palais les jeunots se montrent bavards.
Que pensent-t-ils du président ? « C’est des cons, de toute façon ils ne connaissent pas les lois. J’aurai pas 10 jours de prison, j’aurai 5 mais j’irai pas » lache le grand avec une moue dédaigneuse.
Le petit aussi a son mot à dire : « Moi je me la joue cool. Ici, il faut pas la ramener ».

Un troisième prévenu s’en mêle et s’adresse au plus discret : « Pourquoi vous n’avez pas pris d’avocat ? Ton copain il fait n’importe quoi. Moi j’ai 22 ans, je suis passé par là. J’étais comme ça. J’ai eu le temps de réfléchir. Si tu veux faire quelque chose de ta vie, il faut que tu changes. Avoir un travail et l’envie d’être fier. Tu gagnes ton argent, tu es libre. Le soir tu rentres, t’es crevé, tu fais pas de conneries. Je suis commercial dans l’immobilier, si tu veux je t’emmène avec moi voir les clients. Réfléchis, voilà ma carte. »

Le délibéré est rendu : 250 euros pour le rebelle, 60 heures de travail d’intérêt général pour le plus jeune.
« – 60 heures ?! J’y crois pas !
– Te plains pas, moi ils veulent que je paie. Je paierai pas, ils peuvent se le foutre dans le c… ! »

* Bourougne : « personne fonçant droit dans le tas et n’ayant pas peur de ce qu’il va rencontrer.  » Source : le forum des bourougnes.